Enrôlé sous différents uniformes, militairement rangé, on ne sait quel chocolat choisir. Au-dessus de la boîte, notre main s’élève, hésite, voltige. Moment exquis ! Désir de tant de délicieux possibles : ganache au citron, pur Guayaquil, praliné au lait ou caramel qui croustille ? Divine attente. Dans ce coffre au trésor nichent de vénéneuses pépites, un mystère retors, peut-être une malédiction. La main fonce sur sa proie. Qui l’a guidée ? Le reflet lisse, le rouge-brun miroitant, strié d’une cicatrice, de ce palet ? Le téton rebondi surmonté d’un point blanc de cette bouchée aux marrons ou l’éclat abrupt, intensément tentant, de la noisette fracassée dont on pressent déjà le croquant ? Choisir un chocolat est un doux défi, le stade paroxystique de la gourmandise. La décision prise, la bouche s’ouvre sur sa proie. La résistance est minime, les dents n’entrent pratiquement pas en action. La lutte semble inégale, la bataille n’a pas lieu, le chocolat se rend sans palabres ni effusions. Il fond, soumis, et nous voguons alors au gré des mouvements de notre langue dans un éden soyeux. Un flux noir envahit notre palais, irrigue notre corps, atteint notre cerveau. Nous fermons les yeux. Le noir nous submerge. Ce n’est plus le chocolat qui est vaincu mais notre être tout entier. Nous n’existons plus, nous ne sommes plus qu’une pâte molle, amorphe, indécise. Nous sommes devenus chocolat. Tel un cheval de Troie, il nous inonde, nous brûle, nous paralyse. Le réel n’existe plus. Le monde s’est évanoui. Puis, trop vite, on avale. Le jour succède à la nuit avec regret mais jamais sans oubli. Le temps d’une bouchée, le chocolat nous a rendu invisible.
M-Ch. Clément.