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19 mars 2010 5 19 /03 /mars /2010 20:10

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« Les adolescents mangent mal
 ». On leur répète et ils le disent eux-mêmes.  Qu’en est-il réellement ? Une équipe d’ethnologues vient de passer trois années à observer 500 familles, décryptant les habitudes alimentaires de quelques 1500 adolescents, partageant leur intimité scolaire et familiale. Leurs conclusions récemment divulguées (1) nous permettent de dépasser quelques stéréotypes. Elles ont découvert des adolescents attachés à la tradition du repas familial et au plaisir du goût. Le bilan n’est peut-être pas si désespéré…

 


La méthode

            Elles sont quatorze jeunes femmes, à peine plus âgées que leurs cadets. Comme de grandes sœurs, elles se sont immiscées dans la vie d’adolescents de 12 à 19 ans de toutes origines et de tout niveau social, habitant les régions de Strasbourg et de Marseille. Elles se sont mêlées à leurs repas scolaires, à leurs sorties, à leurs réunions familiales. Elles ont pris des photos, recueilli leurs paroles, leur ont demandé d’élaborer des carnets de consommation, les ont fait réagir à des jeux de cartes composés d’images de familles de produits alimentaires, ont scruté à la loupe leur plateau repas, ont partagé leur dîners familiaux ou leurs après-midi « n’importe quoi ». Parties sans préjugés, elles s’attendaient à trouver une situation bien pire. Certes, nos ados consomment sodas, fast-foods, céréales et autres barres chocolatées mais ils revendiquent également le plaisir de dîner en famille, les bons petits plats faits maison, la cuisine de terroir de leur grand’mère et rêvent même de découvrir de nouveaux goûts dans les restaurants !

 

« A la cantine, ce n’est pas bon ! »

Première poste d’observation privilégié : la cantine scolaire. Leur réprobation est unanime : « à la cantine, ce n’est pas bon ! » L’odeur du lieu, tout d’abord, les incommode. « Avant même que tu rentres à l’intérieur, ça pue !  Ca sent tellement mauvais que je remonte mon cache-nez» raconte un jeune de 15 ans. Cette hyper sensibilité aux odeurs peut s’expliquer par les changements hormonaux qui apparaissent à la puberté et se traduisent par des sens exacerbés, notamment celui de l’odorat. L’architecture des lieux aussi, souvent de grands espaces bruyants sans intimité, n’est pas des plus accueillantes.  «Il n’y a pas de fenêtres, c’est glauque, comme une grotte » disent-ils. Le manque de temps, la précipitation - « on a que 20 minutes pour manger ! » - est également un facteur déterminant dans leur appréciation. Avec autant de préjugés négatifs et la propension à des jugements tranchés, les nourritures servies ne peuvent que leur inspirer de la répulsion : « c’est fade et insipide ». «On ne reconnaît même pas les carottes des poireaux ! »  Certains disent même : « A vomir ! ». Heureusement restent le pain, la part de fromage et le dessert – enfin quand la crème dessert ne sent pas « le cheval » Eduardo (14 ans). Coupé en deux, badigeonné de vinaigrette ou passé au four à micro-ondes avec un peu de sucre, le pain remplace avantageusement le gratin de courgettes froid. « C’est toujours mieux que rien manger » admet Robin (14 ans) tout en ajoutant « c’est sûr qu’après la fin de la journée, on a faim… »  Il est vrai qu’entre les recommandations du PNNS (2), la gestion économique des coûts et les goûts des ados, il existe une antinomie totale entre les plats proposés et ceux qu’ils aiment. A la cantine, la nourriture est plutôt de consistance molle, bouillie, nageant dans du liquide. Or les adolescents préfèrent les textures croquantes, le cru, le croustillant et repoussent toutes nourritures dégoulinantes. Ils plébiscitent les produits fermes - « Si le fromage coule pas dans ta main, il est bon, moi j’aime quand il est peu dur comme quand il sort du frigo », Ludovic (12 ans) ; « J’adore croquer les endives ou le concombre, c’est bien ferme et c’est agréable », Elise (13 ans) - comme gage de fraîcheur mais surtout de praticité, même si à la maison leur préférence va à un camembert fait ou à un fruit mûr. Car un critère encore plus important que la texture des aliments entre dans leur choix : le regard des autres. Ce regard va conditionner leur comportement et un plat va être choisi « pour faire comme ses copains », ne pas avoir mauvaise haleine ou simplement par peur de la moquerie. « Ce que je ne supporte pas, c’est de me tâcher, alors manger à la cantine, c’est plutôt ‘chiant’ parce qu’il faut que je fasse très attention. Souvent je préfère ne pas manger un plat ou surtout couper une viande qui pourrait faire que je m’éclabousse avec un peu de sauce sur mon pull » avoue Sophie (15 ans).

 

« Manger un Mc Do, c’est comme porter un survêt Adidas »

Aussi dès qu’ils peuvent choisir, leur décision est vite prise : ils préfèrent manger dehors. Décision qui n’offre que des avantages : il leur offre un cadre plaisant (la rue, un square, une place, un bord de rivière), le plaisir de se retrouver « entre soi », entre amis, une variété de choix alimentaires,  et de surcroît le fait d’échapper au regard censeur des adultes. En un mot, la liberté. Ils peuvent rire, crier, l’espace leur appartient. Manger à l’extérieur, comme dit Sophie (15 ans), «c’est comme danser sur l’herbe, tu te lâches et tu t’en fous de ce que les gens pensent ». Plus que toute autre génération, celle-ci se retrouve face à un choix immense de nourritures nomades : hamburgers, kebabs, sandwichs, paninis, pizzas, pâtes en boîtes, salades, etc., une nourriture beaucoup plus diversifiée qu'il n'y paraît. Aux sandwichs, kebabs, pâtes en carton ou pâtes chinoises recherchés plutôt par les garçons, les filles vont préférer des produits moins gras, plus légers, salades toute faites ou fruits achetés à l'épicerie du coin. Bien qu’ils en connaissent tous les messages, ce n’est toujours pas l’équilibre alimentaire qui les guide mais avant tout la mobilité que ces nourritures leur permettent. La street food semble avoir été inventée pour eux. Elle leur permet d’affirmer leur identité générationnelle par l’instauration d’autres modes alimentaires. « Ce qui est assis est pour les vieux » disent-ils.  Mais leur dispersion dans l’espace ne se fait pas sans la mise en place de nouveaux codes : manger en cercle ou en ligne, se retrouver sur le même banc, dans le même square, sur la même place, surtout s’inscrire dans un groupe, dans une tribu donnée qui a ses propres codes d’appartenance et de partage. Comme dans la mode vestimentaire, la marque alimentaire fait partie intégrante d’un signe de distinction.  « Manger un sandwich banal, c’est comme si on achète un survêt sans marque, alors qu’aller au Mac Do, c’est comme si on achète un survêt Adidas. C’est, je ne sais pas, mieux vu » explique Kevin (17 ans). Alimentation de marque mais aussi sélection des convives. Le partage de la même nourriture entre ami(e)s marque également l’appartenance à une communauté, il ne se fait pas avec n’importe qui ! Bouteille de coca-cola, paquet de gâteaux ou sachet de pâtes chinoises « Yum Yum »  (3)  - leur consommation semble être particulièrement à la mode dans la région Alsace -  « tourne » entre les mains des « élus » où chacun avale ou pioche à son tour. Au-delà des générations, le « copain » reste bien celui avec lequel on partage le pain… ou les Yum Yum !


 « Nous, on préfère des plats cuisinés à l’ancienne. C’est bien meilleur ! »

Purées,  soupes, légumes, quiches, crumbles… « Le soir, on se rattrape en mangeant des plats fait maison ». Les adolescents peuvent citer de nombreux plats et mettent de plus en plus la main à la pâte. Il n’y a pas de rupture de transmission entre adultes et adolescents mais bien une transmission qui se bricole tant bien que mal entre les exigences matérielles de chacun, les situations familiales et le temps imparti. Les jeunes Français de 12 à 19 ans ne sont pas des adeptes de la malbouffe, loin de là, -  « Nous, on préfère des plats cuisinés à l’ancienne. C’est bien meilleur ! » Aybüke (18 ans) - et la cuisine des grands-mères restent un must incontournable !  « L’odeur de la soupe et des quenelles. Chez mes grands-parents, il  fait toujours chaud, c’est toujours convivial chez eux. Chez mes parents, je n’ai pas l’odeur des gâteaux du four quand j’étais petit. Chez mes grands-parents, les odeurs n’ont pas changé, la soupe est toujours la même. Je ne suis pas un fan de soupe, mais celle de ma grand-mère, je l’aime bien. Elle fait des plats alsaciens comme le porc avec le chou rouge et les marrons, ça sent dans toute la maison. C’est le genre de plats que ma mère, elle, ne fait pas. Il faut du temps pour les préparer » Antoine (18 ans). Ils concilient ce paradoxe : dans une même journée, à la fois se distancier de ce qui est préparé à la maison et se rattacher à la culture familiale, ce qui n’est pas toujours exempt de conflits, notamment entre mères et filles, les premières exerçant une surveillance plus accrue sur l’alimentation des secondes pouvant même parfois leur imposer des régimes dès l’âge de 12 ans ( !). Le choix du repas reste l’objet de négociations permanentes mais parfois, les adolescents eux-mêmes demandent à leurs mères une nourriture moins lourde. « Quand je fais les courses avec ma mère, je l’incite à acheter certains plats surgelés, à cuisiner moins gras, et de son côté, elle m’amène au marché et me fait comprendre l’importance des produits frais comme les légumes. J’apprends qu’avant de venir en France, elle cuisinait beaucoup plus équilibré que maintenant. Le tajine bien gras avec plein de viande que ma mère nous prépare, c’est pour nous faire plaisir et nous montrer qu’à la maison il y a de quoi manger. » Fatima (15 ans). On assiste ainsi à un métissage culinaire plutôt qu’à une évolution tranchée et si certains ados ajoutent ketchup ou mayonnaise pour amadouer les saveurs, les plats identitaires gardent à leurs yeux toute leur intégrité : « Je ne peux pas mettre de ketchup dans un plat turc : c’est dégradant ». Kévin (17 ans).

 


Ruse maternelle

Abreuvés de messages nutritionnels, ils connaissent parfaitement les prescriptions du Programme National Nutrition Santé dont ils lisent quotidiennement les messages télévisuels en bas des publicités mais, dans l’organisation de leur journée, il leur est difficile de s’y conformer surtout qu’ils ne se sentent pas concernés – le message leur semble réservé aux seuls obèses (sic !). Ils en perçoivent les limites : « C’est contradictoire, ils te mettent une pub pour Mc Do et ils te disent éviter de manger trop gras, trop salé… » Sana (18 ans) et Emmanuel (19 ans) de surenchérir : « Moi ça me fait bien rire ces trucs là franchement, ça me fait bien rire ces machins, c’est vrai que pour le coup c’est un peu nous prendre pour des débiles, les jeunes savent bien quand même que quand ils s’occupent devant la télé avec des chips, ils savent bien que ce n’est pas bon pour la santé, ils sont pas si débiles ! C’est pareil pour les cigarettes, on sait bien que ce n’est pas bon pour la santé… »  Ce discours construit une vision manichéiste qui oppose  plaisir et santé, mangeur insouciant et souffrance du mangeur inquiet. Face à cette normativité imposée, Maëlle (13 ans) a tranché : «Bon, c’est le Mc Do, et, équilibré, c’est les fruits et les légumes ». L’assimilation de ces messages nutritionnels est loin de vouloir indiquer une pratique effective mais la question fait débat. « Il ne faut pas croire quand ils disent on ne mange pas de légumes. C’est obligé de manger des légumes, on mange tout ce que nous donnent nos mères, c’est pas possible de jamais manger de légumes… » Nizar (16 ans). Une bataille menée par des mères angoissées qui se répètent : « comment je fais si elle veut pas me manger ça ? » Awatef (38 ans) et finissent par ruser : « pour qu’il mange un peu de légumes, je les fais râpés. Si c’est une sauce de pâtes, je vais râper des carottes dedans, comme ça il ne s’en rend pas compte. J’essaie toujours de mettre un peu de légumes, pareil il adore la pizza, je fais pareil, je râpe des courgettes et des carottes dans la sauce… et il me dit ‘c’est trop bon maman’. » Anissa (37 ans)

 

Le taux d’obésité le plus bas d’Europe !

Entre pression normative familiale et sociale et quête d’identité, les adolescents font un apprentissage important : gérer leur faim. La présence d’une identité alimentaire familiale, l’ancrage dans des traditions est un garde-fou nécessaire. Après une période de rébellion ouverte propre au milieu de l’adolescence, au fil des ans, les adolescents modifient leur comportement et reviennent à leurs origines alimentaires familiales. « En grandissant c’est nous-mêmes qui nous fixons des limites ». Si la période adolescente se manifeste toujours par une prise de distance de l’individu par rapport à son environnement social, l’exemplarité des habitudes alimentaires familiales restent plus que jamais d’actualité. Il ne faut surtout pas dramatiser une situation qui n’est, après tout, pas si terrible que cela : les adolescents français présentent le taux d’obésité (4) le plus bas d’Europe ! Une éducation alimentaire plutôt qu’une éducation nutritionnelle apparaît de plus en plus nécessaire, l’important étant de continuer à leur proposer une autre alternative que celle des fast-foods, qui fait partie intégrante de leur construction identitaire à ce moment de leur vie. Comme le temps de l’enfance, ces grignotages et autres « cochonneries » seront bientôt  rejetés.

 

 

(1)   Le colloque AlimAdos organisé par l’Ocha (Observatoire Cniel des Habitudes Alimentaires) s’est tenu à Paris les 12 et 13 octobre 2009.

(2)   PNNS : Plan national nutrition Santé

(3)   Les « Yum Yum » sont des pâtes chinoises déshydratées que les adolescents réduisent en poudre et mangent ainsi à même le sachet avec les épices qui les accompagnent.

(4)   11,6 % d’obèses.

 

 


Quelques Recommandations pour les ados

Un verre de jus de fruits n’est pas égal à manger un fruit. Il faut préférer consommer un fruit frais.

Une canette de coca-cola =  10 morceaux de sucre

 

Les céréales vitaminées sont un enrichissement inutile. Une bombe nutritionnelle ! Les céréales sont trop grasses, trop sucrées, ce sont des aberrations nutritionnelles qui proposent de plus un goût stéréotypé. Il faut mieux leur préférer une tartine de pain beurrée avec de la confiture dont le goût changera au fil des saisons.

Les ados n’ont pas besoin d’une alimentation survitaminée ou enrichie. Ils ne sont pas carencés.

Ils sont surtout besoin d’une alimentation qui a du goût.

Transmettre l’envie de cuisiner. Les faire participer au marché, aux préparations culinaires. Transmettre l’histoire de la famille, les inscrire dans une tradition culinaire.

Une assiette pour adolescents doit sentir bon, être colorée et présenter des aliments croquants. Ils sont très sensibles à l’odorat et à la vue.

Leur proposer autre chose que de la street food, leur montrer autre chose. Si  un ado mange le midi dehors, le soir, il appréciera d’autant plus un vrai repas fait maison.

 

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Alimentations adolescentes, sous la direction de Nicoletta Diasio, Annie Hubert et Véronique Pardo, cahiers de l’Ocha n°14, octobre 2009.

 

 

 


Les rappeurs au fourneau !

Passionné de cuisine, le leader du groupe de hip hop IAM s’avoue volontiers  fan de bonne bouffe. Il anime désormais une émission de cuisine sur Cuisine.TV. Du hip hop à la sauce italienne, il n’y a qu’un pas pour Akhénaton qui cuisine quotidiennement pour ses enfants. Avec quelques amis, Moustic, Jamel Debbouzel, Amel Bent, Sylvain Wiltord, Ramsy, Gabrielle Lazure, Bouga ou Leïla Bekhti et dans une franche bonne humeur, il mitonnera linguine au citron, cari de poulet ou encore jarret au miel et aux petits légumes. On en redemande ! 

Cuisine TV, « Coska Cook », tous les lundi à 19 h 00.

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20 octobre 2009 2 20 /10 /octobre /2009 12:48

  

            Faire l’éloge de la saveur acide est un véritable défi. Pourquoi rechercher l’acidité alors que la douceur nous va si bien ? Oui mais, le gras et le sucré,  omniprésents aujourd’hui dans nos assiettes, nous rendent obèses ! Se poser la question de la diversité des goûts est absolument nécessaire à qui veut retrouver le chemin d’une alimentation saine et équilibrée. Les diktats alimentaires (« mangez ceci ! Ne mangez pas cela ! ») ne servent à rien s’ils ne s’accompagnent pas d’une véritable remise à niveau de notre palette gustative. L’équilibre alimentaire ne se construit pas par des prescriptions et/ou des interdits mais par une redécouverte de notre sens du goût. Porter une réelle attention à nos perceptions sensorielles, redécouvrir des saveurs moins évidentes voire inconnues, partir à la découverte de la richesse des goûts : telle est la véritable clé de l’équilibre alimentaire.

 

L’apprentissage de l’acidité

            Seul le sucré est un goût inné, évident, universel. Les autres saveurs doivent s’apprivoiser. On doit apprendre à aimer le salé, l’amertume et l’acidité et avec elles toutes les combinaisons possibles. Parmi toutes les saveurs, l’acidité n’est pas évidente. Le vocabulaire en témoigne. Acide désigne ce qui est « vif », « piquant », et devient vite « aigre », « acerbe » voire « désagréable ». Des « propos acides », des « couleurs acides » traduisent ce côté tranchant. Comment rendre agréable une sensation qui ne nous est pas forcément naturellement plaisante ? En sachant la doser. Il ne s’agit pas d’acidifier toute notre nourriture à outrance mais d’ajouter quelques touches, par-ci par-là, d’une saveur qui, nuancée, se révèle particulièrement intéressante.   

 

La mode du verjus

            Le goût pour l’acide est éminemment culturel. Si les Romains prisaient fort le mélange salé-sucré, le « garum », saumure de poissons (correspondant au « nuoc-mâm » vietnamien),  était l’accompagnement privilégié de la plupart des plats. La société médiévale française affichait elle aussi une nette préférence pour les sauces acides ; l’hiver, pour la sauce « cameline », à base de vinaigre et de pain grillé, et l’été, pour le verjus (raisin vert parfois additionné d’oseille et autres herbes qui, selon les régions, pouvait également se composer de jus de pommes ou de groseilles). On faisait alors une grande utilisation de raisins verts comme nous, aujourd’hui, d’un jus de citron. L’historien de l’alimentation, Jean-Louis Flandrin, en analysant les cinq plus importants livres de cuisine français et italiens des XIVe et XVe siècles, a observé que 88 à 95 % des sauces décrites étaient des sauces maigres et acidulées, n’utilisant pratiquement pas de gras1. Après s’être demandé si ce penchant pouvait avoir une origine morale - l’acidité était  alors symbole de piété et la douceur, de volupté -, il s’est aperçu qu’il  était avant tout un signe de distinction sociale.

 

Le goût pour l’acidité : une caractéristique française

            Il remarque ensuite que cette acidité n’est jamais corrigée en France alors qu’en Italie, « elle était le plus souvent édulcorée par du sucre et d’autres ingrédients doux »2 et s’interroge sur cette singularité. Son raisonnement le porte à considérer les boissons en usage dans chaque pays et il constate  que  « les Français – tels qu’on les définissait à l’époque, c’est-à-dire les habitants de l’Ile de France et un peu plus largement du bassin de la Seine – avaient l’habitude de boire des vins nettement plus acides que les gens du Midi de la France, les Italiens et les habitants de la péninsule Ibérique […]. L’habitude de l’acide ou du doux que procurait la boisson dominante pourrait donc être le facteur explicatif principal des différences de goût et des différences dans les préparations culinaires des différentes régions d’Europe, à cette époque »3. Ce goût pour un vin plus digeste, « clairet » comme on le nommait alors, qui présente un équilibre tannique ou minéral, reste aujourd’hui encore l’une des raisons, avec la diversité et la richesse des terroirs,  de la suprématie des vins français. Cette caractéristique que les dégustateurs désignent par le terme de « buvabilité », recherchée par les grands vignerons, est apportée, en grande partie, par une structure acide. Les historiens ont même considéré ce goût pour l’acidité, c’est-à-dire pour la fraîcheur et l’équilibre, comme une des raisons de l’évolution de la cuisine française en culture gastronomique.

 

L’acidité révèle le goût

            « Ce qui est plus délectable au goût est meilleur à la digestion »4. Cette phrase de Magninus de Milan citée par Jean-Louis Flandrin devrait devenir notre credo. A l’époque médiévale, selon les anciennes conceptions diététiques héritées d’Aristote, on considérait comme grossier tout ce qui était lourd, terrestre, consistant. Les sauces acides étaient appréciées car légères, donc plus digestes et plus délectables. Il est vrai que l’acidité est plus une sensation qu’une saveur. Elle rafraîchit le palais, assainit la bouche et fait saliver. Elle est digestive et nettoyante. Comme le sel, elle est également un exhausteur. Une petite goutte de vinaigre, un trait de jus de citron rehausse le goût des produits naturels, joue le rôle de révélateur. Présente dans les fruits, les légumes et certaines variétés d’herbes et de salades, jamais dans les viandes ou les poissons, l’acidité est  une des bases universelles de l’assaisonnement.

Une question d’intensité et de vocabulaire

Chaque individu perçoit non seulement différemment la notion d’acidité mais, selon les types de molécule, les doses nécessaires à leur perception sont différentes selon les types d’acides utilisés. Avec l’acidité, tout est affaire de dosage et de sensibilité ! Sa perception est d’autre part, fortement déterminée, a contrario, par la présence ou non de saveur sucrée. Pour ne plus avoir peur de la saveur acide, peut-être faut-il tout simplement changer notre vocabulaire. Ne parlons plus d’acide mais d’« acidulé », de « vert » ou, comme à l’époque médiévale, de « verdelet »,  car seul une note, une touche suffit à satisfaire cette sensation de fraîcheur. Cultivons notre identité française pour l’acidité ou l’acidulé ! Revendiquons cette singularité culturelle, historique et sociologique. Devenons militants des  saveurs pour maintenir notre culture et préserver notre santé.

 

Les principaux acides

La touche acidulée est souvent un révélateur, un exhausteur de goût au même titre que le sel, mais avec moins d’effets nocifs, et apporte une plus grande fraîcheur. Il suffit d’une petite touche pour aciduler un plat : quelques morceaux de pomme verte, un trait de vinaigre sur un poisson, une sauce au yaourt ou à la crème pour accompagner des crudités, un cornichon dans un sandwich au jambon… La haute cuisine française s’est faite une signature de la cuisine acidulée. La famille Troisgros à Roanne, notamment, est connue du monde entier pour son célèbre saumon à l’oseille. Michel Troisgros magnifie aujourd’hui cet esprit acidulé avec un velouté de châtaignes à la granny-smith, un mikado d’endives et de rhubarbe ou une tarte meringuée au thé de jasmin et citron vert5.

Il existe de nombreuses variétés d’acides. Voici les plus répandues.

Le Citron
Le citron ou acide citrique, sert de référence pour former les sujets à la saveur acide lors d’analyses sensorielles. Le citron est souvent utilisé pour réveiller les papilles, il agit comme un coup de fouet et n’a pas une longue persistance aromatique.

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La Pomme

La pomme ou acide malique est une saveur acide particulièrement prononcée, un peu dure, végétale qui correspond à la  pomme verte Granny-Smith ou à des raisins pas mûrs. Cette note acide s’utilise comme note de fond car sa perception est plus longue. De nombreux industriels de l’industrie agroalimentaire utilisent souvent deux acides en même temps, notamment dans l’industrie des confiseries, car l’un fait office de première sensation et l’autre maintient la perception de fraîcheur6.


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Le yaourt

Le yaourt ou acide lactique est l’acidité du lait fermenté. C’est une acidité douce que l’on trouve dans les produits laitiers et notamment les fromages au lait cru. C’est une acidité facile à utiliser car elle se présente sous de multiples formes.

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Le vinaigre

Le vinaigre ou acide acétique est le seul acide à posséder à la fois une odeur et une saveur. Le vinaigre n’est pas seulement vinaigre de vin, il peut être aussi vinaigre de cidre ou vinaigre de fruits (framboise, cerise, groseille).

 

Le vin

Le vin conjugue plusieurs acides : lactique, malique, citrique, acétique, tartrique, sorbique et ascorbique. Cette diversité de molécules fait de l’acidité une des propriétés fondamentales du vin. Elle lui a donné son statut historique de boisson culte, « saine et hygiénique » et de ses propriétés de conservation. La fermentation qui se manifeste par l’acidité (pain, vin, fromage, choucroute, etc.) fut et reste encore un des moyens de conservation privilégié des produits naturels7.

 

 

Références bibliographiques

(1) Jean-Louis Flandrin, Fêtes gourmandes au Moyen-Age, Imprimerie nationale, 1998, p. 13.

(2) id. p 13.

(3) id. p. 14.

(4) Regimen sanitatis, Magninus de Milan cité par J.-L. Flandrin, ibid, p. 20. 

 (5) Michel Troisgros, La cuisine acidulée de Michel Troisgros,  Le Cherche-Midi, 2002, réédition Livre de Poche, 2005.

(6) Christine Chèné, « Deux acides plutôt qu’un », Ria n°688, mars 2008, p. 39.

7) En industrie agroalimentaire, certains acides sont recherchés uniquement pour leur effet conservateur. Cf Christine Chèné, les acides organiques, mars/avril 2002.


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