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11 avril 2010 7 11 /04 /avril /2010 17:43

 

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Pourquoi devrait-on apprendre à goûter ? Apprend-t-on à voir, à entendre, à respirer ? Cette activité quotidienne, nécessaire, partagée par tout ce qui vit, ne devrait pas devoir nécessiter d’éducation particulière. Et pourtant... Si certaines espèces vivantes sont exclusivement carnivores ou herbivores, l’homme, quant à lui, est omnivore, c’est-à-dire qu’il peut manger de tout, sans exception. L’exception, il se la construit culturellement, pour adhérer à un groupe, définir son identité, c’est-à-dire à la fois s’assimiler à d’autres, ses semblables, et se distinguer des autres, ceux qui n’appartiennent pas à sa famille, à son clan, à sa tribu. Pour cela, il doit nécessairement apprendre à distinguer des aliments.

 

Le sucré : seul goût universel

                Le goût est toujours la résultante d’une éducation et de choix dictés par l’entourage car, de toutes les saveurs, seul le goût sucré est  universel. Des études menées auprès de jeunes nourrissons ont montré combien le plaisir rendu par la note sucrée se manifeste universellement dès les premiers jours de la vie. Toutes les autres saveurs doivent, en conséquence, être acquises. Apprendre à aimer l’amertume de l’endive ou de la bière, l’acidité d’un pamplemousse ou d’une vinaigrette, le salé de la morue ou d’une choucroute, le iodé d’une huître, l’anisé d’un fenouil ou la fraîcheur piquante du gingembre, est une question d’acquisitions et de préférences culturelles.

 

Les autres saveurs sont acquises

Un enfant va spontanément se tourner vers ce qui lui paraît bon pour lui, c’est-à-dire tout ce qui est doux et sucré. Apprendre à apprécier l’acidité juteuse d’une pomme, le farineux suave des petits pois ou le croquant-piquant d’un radis, s’apprend avec maman et avec papa. Les parents ont pour mission de transformer cette nécessité en plaisir. Apprendre le plaisir de goûter à son enfant devrait être l’une de leurs priorités. L’enjeu est de taille : il ne s’agit pas de conforter son enfant dans un cocon gustatif mais véritablement de l’élever, c’est-à-dire de l’éveiller à la formidable diversité du monde en lui donnant quelques repères.

 

Le goût, c’est à 90% de l’odorat

Comment s’y prendre ? Rien n’est plus facile. Cela ne se passe pas uniquement dans l’assiette mais dans la vie, tout simplement. Il faut l’inciter à développer ses capacités sensorielles et tout particulièrement à porter son attention vers les odeurs car le goût est constitué à 90% par l’odorat. Sentir l’herbe coupée dans la campagne l’été, l’odeur exacerbée qui monte de la terre après la pluie, une rose moussue dans un jardin, une feuille de menthe frottée dans une main, le grillé du pain ou du café, même des odeurs parfois écœurantes comme celle le bitume chaud qui vient d’être étalé sur une route[1][1] ou l’alcool à 90° tamponné sur un doigt coupé. Chaque odeur constitue un repère qui lui servira plus tard à définir et à reconnaître une présence similaire dans son alimentation. Apprendre à sentir est le prologue obligé de l’apprentissage du goût.

 

Pourquoi les enfants préfèrent-ils les pâtes ?

Chaque parent a déjà été confronté à ce phénomène : les enfants normalement constitués de 2 à 10 ans se montrent sélectifs et plutôt conservateurs. Ils préfèrent en général des plats nourrissants de composition simple, à saveur grasse et  sucrée, au goût peu prononcé. Que faire ? Savoir que cela est normal. Jusqu’à l’âge de deux ans, un enfant accepte en général un large éventail d’aliments. De quatre à sept ans, il rétrécie volontairement son champ alimentaire. C’est une façon pour lui d’affirmer sa différence par rapport au monde des adultes,  de construire sa propre identité. Ce repli a pu également être interprété comme une réaction par rapport au traumatisme scolaire.

 

L’inscription dans une identité familiale

Ensuite, après sept ans et jusqu’à la période pré adolescente, il a tendance à assouplir cette tendance et à accepter plus aisément de nouveaux plats. Des études ont montré qu’il était parfois nécessaire de présenter jusqu’à 8 à 10 reprises un plat qui était jusqu’à alors repoussé pour que celui-ci soit finalement accepté. S’il réapparaît régulièrement sur la table familiale, il devient un référent. L’enfant comprend alors que l’inscription dans le groupe passe aussi par l’ingestion du plat.

 

Le rôle primordial des parents 

On l’aura compris, l’éducation du goût est une œuvre de chaque jour qui ne peut s’effectuer que dans le temps. La notion de répétition est essentielle. Des évènements médiatiques comme « la semaine du goût » n’ont comme seul effet positif de rappeler combien cet apprentissage est important dans le développement de l’enfant. Mais les parents ne sauraient se décharger sur l’institution scolaire d’une mission qui leur incombe à part entière. Avant d’apprendre le goût des autres, l’enfant doit se sentir « bien dans son assiette », c’est-à-dire avoir assimilés, au sens propre comme au sens figuré, les tenants et les aboutissants de son identité qui passent par l’ingestion d’une certain nombre d’aliments ou de plats qui modèlent l’histoire de sa propre famille. Ces moments d’échanges, de complicités, d’émotions s’inscriront dans le processus de création de sa mémoire et le marqueront pour la vie. Apprendre à un enfant à goûter est une façon sans cesse renouvelée de le mettre au monde. 

 

L’éducation du goût pour lutter contre l’obésité

Pour certaines personnes, manger n’est qu’un acte de remplissage. Accorder de l’attention aux aliments ingérés, c’est-à-dire réintroduire la notion de goût permettrait de réguler certaines dérives alimentaires. Non seulement « le goût renseigne le corps sur la quantité nutritionnelle ingérée [2][2]» mais « sans la notion de plaisir apportée par le goût, le corps ne reçoit pas de signal de satiété ». Le mangeur alors réduit  à l’état de simple avaleur ne sait plus quand s’arrêter. Quelques diététiciennes[3][3] explorent actuellement l’apprentissage du goût comme une nouvelle approche thérapeutique de la maîtrise du poids.    

 

Comment s’y prendre ?

Avant l’âge de deux ans, lui faire goûter un maximum d’aliments différents.

Respecter le rythme individuel de l’enfant. 

Comprendre qu’il peut avoir génétiquement des préférences différentes de celles de ses parents.

Ne pas le forcer mais ne pas cesser de représenter un même plat jusqu’à ce qu’il soit admis (surtout de 7 à 11 ans).

Inscrire des plats dans une histoire familiale. Le goût aime les mots et les histoires. 

Attirer son attention sur tous types d’odeurs.

Lui faire goûter un même produit en comparaison : deux types différents de pain (l’un blanc, l’autre avec une farine complète, par exemple ; deux variétés différentes de pommes, deux stades de maturité d’un même fromage, etc.)

 

Pour en savoir plus 

Jacques Puisais, Le Goût et l’enfant, Flammarion, 1987.

Natalie Rigal, La Naissance du goût, Noesis, 2000.

 

 

 

 



[1][1] Jacques Dupont, grand dégustateur, dans son dernier ouvrage « Choses bues » raconte même comment enfant il savait reconnaître différents moteurs rien qu’à leur odeur.

[2][2] Cf. compte-rendu des 4èmes Rencontres du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids, Paris 30 novembre et 1er décembre 2006, par Virginie Lanouguère-Bruneau, sur le site www.lemangeur-ocha.com, juillet 2007.

[3][3] Notamment Katherine Kureta-Vanoli à Clamart,  Dominique Cassuto, nutritionniste à l’hôpital La Pitié Salpetrière, Paris, et    à Clermont-Ferrand, toutes trois membres du GROS, groupe de recherche sur l’obésité et le surpoids.

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